Graphê, association pour la promotion de l'art typographique.
Pétition pour sauver le patrimoine de l'Imprimerie nationale (cabinet des poinçons, presses à imprimer, bibliothèque historique)
 

 

Éditorial de Jean-Louis Estève, paru dans Graphê n° 28, juin 2004

Où est la vie ? où est l'avenir ? (oserais-je dire l'immortalité !) d'une nation et plus sûrement encore de notre part d'humanité ?

La réponse pour moi est évidente et sans hésitation.

L'avenir d'une nation est dans sa jeunesse, et parce que je suis éducateur, puisque je suis professeur, j'affirme que c'est avant tout dans la formation de cette jeunesse que l'on peut construire avec quelque assurance l'avenir de notre humanité.

Voilà pour parler patrimoine et formation, une entrée en matière bien grandiloquente, et bien idéaliste ! Je le concède ! Mais, au fond, c'est bien toujours cette idée qui nous guide, c'est bien notre pôle, la colonne vertébrale qui nous permet de nous dresser pour tenter de voir un peu plus loin, quand le sens de la marche
se perd, que la direction à prendre s'estompe, disparaît sous l'usure du quotidien.

Contradiction entre la notion de jeunesse et celle de patrimoine ?

Je ne le pense pas, et la contradiction n'est qu'apparente.

Les étudiants de nos écoles de métiers d'art et d'arts appliqués, sont avides de connaissances, curieux, conscients que ces métiers sont de culture, qu'ils s'insèrent dans l'histoire, et qu' anciens, ils n'en sont pas moins d'avenir car d'abord, métiers de création, au service des créateurs.

Ils ont conscience d'être une parcelle, un maillon encore dans la forge, d'une longue chaîne de transmission des connaissances, du savoir-faire, des expériences.

Ils sont du patrimoine vivant, notre culture en mouvement. Sans les réceptacles intelligents qu'ils sont, le patrimoine matériel est lettre morte.

Oserais-je dire qu'ils sont le « soft » du « hard » ! Ils sont le logiciel intelligent, toujours à jour, toujours dernière version, toujours renouvelé qui saura faire vivre et faire évoluer la machine que nous transmet l'histoire.

Poussons plus avant, prenons un exemple, nous disions lettre morte ?

Imaginons que le Cabinet des poinçons, trésor typographique, si remarquablement entretenu par Christian Paput et Nelly Gable devienne l'instrument dynamique qui participe à la passation des connaissances et du savoir-faire.

Le ministère de la Culture a déjà apporté dans ce sens les prémices d'une réponse en permettant la formation de Pierre Valusinsky.

Le Cabinet des poinçons, autrefois, fleuron de la nation, aujourd'hui, bras en souffrance d'un groupe d'entreprises agressé par les coups du marché, peut s'affirmer un peu plus comme instrument de formation sans perdre sa dimension patrimoniale.

Imaginons que ce patrimoine matériel, inanimé, devienne un lieu de formation. Transportons dans le lieu de vie qu'est l'École, ces pièces ensommeillées.

Réunissons, associons l'École Estienne lieu de transmission, de formation et d'éducation à cette richesse exceptionnelle du patrimoine matériel.

Une renaissance comme après une longue convalescence.

Ne nous y trompons pas, il ne s'agit en aucune manière de refaire l'atelier du vingtième siècle, on trouve aujourd'hui sur l'établi, à côté des burins et des échoppes des graveurs, des ordinateurs et des fraiseuses à commande numérique, naturellement.

Le moment d'inquiétude frileuse a été à peine sensible dans ces métiers. C'est une tradition ancienne, économie bien comprise, que de vouloir s'éviter le travail fastidieux et répétitif afin de l'investir dans la création. L'histoire des machines à graver, à commencer par celle de Conté, illustre clairement cet état d'esprit.

Un autre exemple ? Celui plus prometteur, le bon exemple ! La bibliothèque des arts graphiques, appelée aussi le fond Morin, léguée à la Ville de Paris était hébergée dans les locaux de la mairie du sixième arrondissement. Le manque d'espace, et sans doute aussi la faible fréquentation, a contraint les édiles à reconsidérer la destination du local.

Qu'est-elle devenue ? Dans un premier temps, déposée dans une cave du Forum des Halles où elle risquait la crue centennale ; elle est aujourd'hui stockée dans des entrepôts à marchandises au nord de la capitale. Le mal n'est pas bien grand pensera-t-on, il n'y a pas eu beaucoup de protestations ! Un fond aussi spécialisé, ne peut être consulté que par quelques chercheurs. Voire !

L'École Estienne possède elle aussi une bibliothèque spécialisée autour du livre, animée par Anouck Seng, elle est remarquablement fréquentée et par nos étudiants, et par les chercheurs. Elle est l'exemple d'une bibliothèque spécialisée vivante qui joue totalement son rôle d'instrument de formation. Tout simplement parce qu'elle est dans une école spécialisée.

La Ville de Paris s'est engagée à réunir le fonds des Arts Graphiques à celui de l'École Estienne, tous deux sont de sa responsabilité. (Réunion du 20 mars 2003)

Nous sommes sur la bonne voie. N'est-ce pas une insulte à l'intelligence que des livres enfermés et inaccessibles, de fait, interdits ?

Qui peut accepter cette idée ?

Ce sont les lecteurs qui font vivre ces « lettres mortes ». Que sont les livres, sans le regard de l'intelligence pour leur permettre de parler ?

Que manque t-il pour que cet engagement devienne réalité ? La réhabilitation de quelques locaux ! Je ne suis pas un grand économiste, mais, question à l'énarque : revient-il plus cher d'entretenir deux lieux, seraient-ce des tombeaux, ou un seul lieu de vie, d'échange et de formation ?

Deux exemples, pour illustrer cette idée simple que nous voulons défendre ; réunir le patrimoine matériel aux lieux de formation. Donner aux uns de la vie, accroître les instruments d'éducation pour les autres. Ils doivent être l'avers et l'envers d'une même médaille, celle de l'avenir qui connaît son histoire.

Si nous avons choisi l'École Estienne c'est que nous y sommes attachés et que l'on parle un peu mieux de ce que l'on connaît bien ; mais on pourrait multiplier à l'envi et pour les autres métiers, et pour d'autres collections cette proposition de simple intelligence, ... Trop simple ?

Nous sommes dans un continuum, qui puise toujours à ses sources. Comme un arbre, dont les racines, profondément ancrées dans l'histoire, nourrissent de jeunes rameaux vigoureux, régulièrement enrichis de greffons porteurs de fruits nouveaux.

Ne serait-ce pas la célèbre marque des Estienne que je viens de décrire ?

Jean-Louis Estève
professeur à l'École supérieure Estienne
des arts et industries graphiques

 

 
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